Recherche des pirates

Eric regardait aux alentours. Le bateau était là, mais plus aucune trace de l'équipage. Le port était calme. Il allait partir en quête d'information lorsque Meije apparut soudainement en face de lui. Il tourna les yeux vers elle, sans plus de surprise vers elle. Elle parraissait inquiète. Ce n'était donc pas normal que les marins ne soient plus là, elle ne devait en aucun cas mettre un pied ici.

"Je viens juste d'arriver, je ne sais pas où sont les autres. J'allais partir au point de rendez-vous sur la plage. Et vous que faites-vous ici ? Auriez-vous oublié que vous avez été bannie ?"

Il toussota.

"Vous faites ce que vous voulez de toute façon. Mais nous devons nous dépécher. Le temps presse plus que ce que je pensais."

L'aura de confiance était toujours présente, mais dans les yeux d'Eric se lisait une nouvelle lueur.
Il s'était fourré dans un truc qu'il aimait de moins en moins.

"Comment ? Bannie peut-être, mais vous avez drôlement fait durer. Ma mère a-t-elle donc été si farouche ?", répondit-Meije.

Le mercenaire n'avait pas l'air enchanté de se retrouver dans cette situation. D'un autre côté, il était payé à moitié et le serait complètement à l'achèvement de sa mission. Sans pitié, Meije reprit.

"Jean est un maître d'équipage précieux. J'ai besoin qu'on le retrouve. Avez-vous la moindre information ou idée à leur sujet ?", s'enquit-elle plus aimablement avec un sourire.

Jean était son vieil ami et, comme tous les officiers de son équipage, avait été un amant d'un soir. Mais d'un seul seulement. Aucun des officiers, une fois engagés, n'avaient accès à la couche de Meije. Elle préférait de longues abstinences plutôt que de brèves mais efficaces mutineries.
C'était un bon marin, un excellent maître d'équipage et un filou de premier ordre. Un vrai pirate, rompu à l'art du combat rapide et efficace qu'est celui de la survie, c'est-à-dire sans salut préalable ni enchaînement traditionnel ou règles de politesse de coups.
Malgré tout, elle s'inquiétait pour le vieux briscard. Elle connaissait les guérisseuses de la Cité de Lumière, et le vieux marin risquait de faire des ravages. Ce qui ne plaisait pas toujours aux coincés de la Cité, comme se plaisait à les appeler Meije, et à qui peu de choses plaisaient en dehors de l'ordre et de la sécurité servile.

"Sinon peu importe. Nous devons les retrouver et, si possible, les aider. Et j'ai comme l'idée qu'on pourrait les trouver à la prison. Reste à savoir comment y accéder. Mon pouvoir peut m'assurer la tranquillité pour y aller, mais je n'aurai pas la force d'accélérer le temps pour d'autres personnes. Je suis la seule à pouvoir en profiter, et au maximum un autre passager. Et difficile de n'en prendre qu'un sans que les problèmes retombent sur les autres".

Eric parut consterné.

"Je n'ai pas fait durer, bien au contraire, la tâche a été plutôt simple en fait. J'ai obtenu les informations que nous souhaitions tout en étant gentleman. Auriez-vous préférez que je la menace, qu'elle m'agresse, que ses atrocités d'amants me complexifient la tâche ? Là oui j'aurais été en retard."

Encore un peu plus consterné. Meije n'écoutait pas du tout ce qu'il lui disait.

"Je viens de vous dire que je vennais juste d'arriver. Comment voulez-vous que je sache quoique se soit sur votre équipage ? Je pensais simplement que j'avais fait trop vite et qu'ils n'étaient pas revenus, de je ne sais où."

Meije expliqua par la suite, chose qu'Eric avait compris, elle tenait à ses matelots et désirait les aider. Mais il était évident qu'ils ne pourraient rien faire sans attirer l'attention. Eric eut un petit sourire. L'idée d'un petit carnage lui plaisait bien, surtout ici, mais ce n'était vraiment pas le moment de s'attirer des ennuis. Ils en auraient certainement assez, plus tard. D'ailleurs Meije ne semblait pas inquiéte sur le fait qu'il fallait se dépécher. Eric se permit donc d'insister.

"Comme vous venez de le faire remarquer, il sera difficile de faire quoique se soit pour vos hommes si ils sont en prison, surtout ici, sans que les ennuis ne nous retombent dessus. Et nous n'avons pas beaucoup de temps pour terminer cette quête, et donc aucun à perdre avec ce genre d'affrontement que nous risquons fort de perdre, du moins, vos hommes. Notre mission est plus importante, du moins, si vous tenez à la vie. Donc faites parvenir un message à vos hommes en leur disant que vous ferez tout ce que vous pourrez pour eux, plus tard, en espérant qu'ils évitent la potence si vous avez raison, mais que nous n'avons pas le choix."

Il s'arréta en se disant que la rassurer un peu n'était peut-être pas de trop.

"Ils ne tuent pas sans merci ici, vos hommes auront certainement le droit à un procés, et ont plus de chance de faire du cachot que de nourrir les poissons. Ils ont tendance à être clément ici. Sauf pour les gens comme vous, bien sûr."

Un petit sourire étira ses lèvres lorsqu'il termina sa phrase.

"Comme moi non plus d'ailleurs. Nous ne devrions pas trop rester longtemps ici. Allons nous en."

Meije tournait dans sa tête comme une furie. Elle était inquiète pour ses hommes et voulait les aider, et en même temps, était pressée de sortir de cette maudite cité dont un rêve précieux était de lui mettre le grappin à l'épaule.
Éric argumenta calmement pour la convaincre qu'il fallait partir au plus vite, appuyant que les matelots ne risquaient que le cachot.
Elle hésita et réfléchit. Une petite pensée toqua à son esprit et ses yeux pétillèrent légèrement. Un petit sourire en coin étira ses jolies lèvres.

"Vous avez raison, nous allons partir bientôt. Laissez-moi le temps de faire une petite blague à une connaissance passé, le capitaine des gardes.
S'ils sont enfermés, c'est lui qui les garde.", dit-elle d'une voix douce.

Elle tira un bout de papier et de quoi écrire et se mit à la tâche.

"A l'intention du capitaine des gardes,

Je soussigné Meije Alves, dite la Croque-Mort, capitaine pirate mais avant tout, pour ce qui nous intéresse ici, représentante d'une des plus vieilles familles de la Cité de Lumière.
J'ai cru judicieux de jeter un oeil à vos cellules pour savoir si mes hommes étaient bien traités. Ma visite m'a laissée entièrement satisfaite, et tout me porte à croire que vous êtes un homme conscencieux qui ne s'abaissera pas à l'inutile cruauté.

Je ne demande pas la libération de mes hommes, je les laisse à la justice de vous et de vos supérieurs, en espérant qu'elle sera impartiale.
Toutefois, ayant brièvement discuté avec mon maître d'équipage que vous détenez, je me dois je pense d'opérer quelques confirmations.
Ainsi, je vous donne ma parole d'honneur et celle de mon sang que Jean et son groupe étaient chargés de faire une diversion pour débarquer un messager privé destiné à ma mère. Le capitaine Emba-Nabu est vivant et, à l'heure qu'il est, probablement chez lui en sécurité.
Vous connaissez, je pense, la valeur de ce serment pour l'aristocrate que je suis et espère que vous ne mettrez pas en doute la parole de la noblesse d'Alves.
J'ai de plus la réputation d'une femme de parole, croyez-en ou non les rumeurs.

Je vous souhaite, capitaine, une agréable soirée, et espère en tout sincérité que nous n'aurons pas l'occasion de nous croiser.

Bien à vous,
Meije Alves."

Le sceau de la famille Alves, vieille et renommée famille de la Cité de Lumière, était apposé au bas de la feuille.
Meije ne parlait ici pas en tant que pirate et tenait à ce que ça se sache.
Elle plia la lettre en quatre. Puis, de nouveau, les bruits s'estompèrent, les mouvements se figèrent. Elle fila à travers les rues, se fiant à ses souvenirs pour la guider.
Elle entra dans une bâtisse et en ressortit quelques minutes plus tard.
Elle rejoint rapidement le lieu où elle avait laissé Éric et réapparu.

"Voilà, je suis prête. Le capitaine trouvera un petit mot là où il ne devrait pas être. Quittons cet endroit, maintenant", dit-elle en frissonnant et en rentrant les épaules.
La nuit était fraîche. Plus vite elle serait rentré à sa frégate mieux elle se sentirait. Elle attendit qu'Éric se décide.

[Pour le capitaine des gardes, met la lettre où tu veux, je ne connais pas la description des lieux. Qu'il sache que Meije est bien passé en personne.]

Eric secoua légèrement la main en direction du poste de garde, situé loin d'eux.

"Vous faites bien ce que vous voulez, du moment que nous partions vite d'ici."

Il la vit disparaitre et aussitôt, se mit à tapoter du pied. Les quelques minutes qui le séparaient de sa réapparition lui parrurent longues, bien trop longues. Il savait qu'il n'était pas réelement en danger, mais il ne souhaitait pas être vu ici. Meije avait à peine eut le temps de reprendre son souffle qu'Eric partit droit devant en direction du lieu qu'elle lui avait indiqué pour retrouver la frégate. Avant qu'il ne disparaisse, il marmonna tout bas :

"Hâtons nous car je ne vous apporte pas de bonnes nouvelles."

Il disparut et se retrouva dans le bureau de Meije ou il l'attendit, elle devait certainement lui coller aux basques. Même si son pouvoir était très intéressant, en raison de sa jeunesse notamment et de son manque d'expérience, il devait avoir d'importante limite. [font:985e=]

A peine était-elle arrivée qu'Éric repartait aussitôt, l'air pressé. Il prit le temps, dans son départ, de lui marmonner qu'il avait de mauvaises nouvelles.
Elle se mordit les lèvres et contint son impatience. Elle le suivit.
Remontant les rues tranquillement, elle accéléra de nouveau son temps pour passer le poste de garde sans encombres, mais l'arrêta aussitôt hors de porté, en maugréant tout bas.
Son pouvoir était bien pratique, pensait-elle, mais elle savait qu'elle ne devait pas l'utiliser trop souvent. Et, ces temps-ci, elle en faisait un usage trop fréquent. Son pouvoir accélérait son temps personnel dans une bulle. Et donc le vieillissement. Ce qui signifiait que chacune des minutes durant lesquelles elle avait accélérer le temps étaient consommées et retirées à son total de vie.
Si elle ne voulait pas mourir à trente ans, il fallait qu'elle en fasse un usage parcimonieux.
La frégate n'étant pas très loin, elle rentra à pied sans encombre, marchant d'un pas vif mais peu pressé.
Elle parvint à la plage, au delà de la quelle se dressait l'imposant navire. Elle entra dans l'eau, habillée, et nagea jusqu'au flanc du bateau.
Là, elle siffla. Un grattement de griffe ne tarda pas à se faire entendre, celui d'un canidé galopant sur un plancher.
Un petit grognement, pas méchant, se fit entendre et un matelot suivit la louve à grands cris de protestation, mais sans oser résister. Il se pencha par dessus la rembarde.

"Envoie une corde !", cria Meije quand apparu la tête du marin.

Ce dernier eut un grand sourire soulagé et se rua à son service. Une minute plus tard, la corde était lancée, et Meije grimpait.
Elle remercia le marin, donna ses ordres et se dépêcha de rentrer pour ne pas trop éprouver la résistance de ses hommes. Ses habits étaient transparents sous l'effet de l'eau et lui collaient à la peau, ne recouvrant son corps que d'un léger voile translucide.
Elle rentra sa cabine, où Éric attendait.
Se dirigeant vers une grosse malle, elle tira une serviette et s'enroula dedans. Puis elle fit face à Éric et, comme si de rien n'était :

"De mauvaises nouvelles, avez-vous dit ?"

Elle s'assit sur le bord de son lit, ses jolis sourcils froncés, une main porté au cou pour tenir la serviette.

Eric attendait patiement dans le bureau de Meije, que cette dernière arrive. Il était appuyé contre une lucarne, regardant la mer se confonfre avec le ciel dans un halot bleu nuit. il jouait avec un parchemin, faisait glisser un coin rugueux contre sa joue.
Il était dans ses pensées, elles défilaient à toute allure après la soirée qu'il venait de passer. Malgré l'urgence de la situation, effet qu'il avait bien fait comprendre à Meije, Eric était calme et posé, maintenant qu'il avait quitté la cité de Lumière.
La capitaine de la frégate entra trempée, et s'enroula dans une serviette avant de s'asseoir sur son lit. Lorsqu'elle s'adressa à lui, il poussa un soupir. Sa voix était calme, il dégageait toujours cette impression de sérénité. Sa phrase fut lente et chaque syllabes appuyées.

"Meije, sans vous offenser, quel âge avez-vous, exactement ?"

Il tourna son regard vers la capitaine, rien ne changea dans son expression.

Éric se tourna vers elle et avait l'air serein. Il lui parla lentement, comme s'il cherchait les mots exacts, ou qu'il parlait à un demeuré mental.
Il lui demanda quel était son âge exactement.
Son visage resta figé dans l'expression qu'il lui avait donné, il était, en quelque sorte, impassible. Impassible derrière un masque.
Meije baissa les yeux et remua silencieusement les lèvres.

"Théoriquement... 22 ans, bientôt 23. En pratique, si on cumule les minutes écoulées prématurément avec mon pouvoir... j'ai environ deux heures de plus que mon âge théorique. Ce n'est pas une question à une dame, mon cher monsieur !", ajouta-t-elle avec un joli sourire.

Elle marqua une pause l'air de se rappeler quelque chose.

"Heureusement que je n'en suis pas une, d'ailleurs. Comment avez-vous trouvé ma mère ? Une vrai dame, ça... Et pourquoi cette question ?"

Elle était aimable et gentille, mais on sentait le caractère provisoire de cet état. Son regard commençait à se refroidir légèrement. Elle s'impatientait. Elle avait engagé un mercenaire pour une affaire d'héritage. Elle avait perdu des hommes dans une diversion dont elle, lui et eux auraient pu se passer. Elle reconnaissait que c'était une erreur, mais le problème lui semblait ailleurs. Il la prévenait d'une mauvaise nouvelle et la faisait languir en lui demandant son âge.
La peau du coin de ses yeux se plissa très légèrement, les mandibules se contractèrent discrètement.
Son sourire et ses yeux perdaient un peu de leur chaleur. Elle riva ses yeux dans les siens.

"Ne tournez pas autour du pot et dites moi directement ce qu'il y a. Si je ne comprends pas, vous m'expliquerez après, pas avant. Parlez, Éric, s'il-vous-plaît", dit-elle tranquillement.

On ne sentait pas l'exaspération dans la voix ou l'attitude de Meije. Un matelot aurait trouvé ça inquiétant ; chacun des hommes de la Croque-Mort préférait l'énervement plutôt qu'une colère contenue sous-jacente qui grandissait et attendait soigneusement son moment pour exploser.
Un homme qui voulait lui rendre service avait dit un jour que ce genre de réaction était dû au traumatisme de la violence de son enfance. Si quelque chose satisfaisait bien Meije dans sa vie, c'était, sans hésiter, le silence dans lequel l'homme s'était plongé. Un mot approprié. Sans doute qu'être rempli de sable, de vase, d'eau de mer et de petits poissons l'avait un petit peu aidé dans son mutisme.

Eric ne bougea pas. Il venait d'apprendre le dernier point qui allait rendre la tâche encore plus compliquée. Cependant il y avait une bonne nouvelle, si l'on puit dire ainsi. L'utilisation de son pouvoir ne l'avait pas si affecté que cela pour l'instant. Mais elle ne répondit pas vraiment exactement à sa question. Il aurait plus de précision pour savoir le temps qu'il leur restait.
Meije semblait s'impatienter, et elle avait si tôt fait remarquer qu'elle aimerait bien savoir exactement de quoi il en retournait. Tout en glissant une réplique à propos de sa mère.

"Pfff. Une véritable honte pour toutes les lignées nobles de cette terre." Affirma t-il. Mais il ne souhaitait pas réelement parler de cette femme. Elle faisait partie d'un des plus horribles spectacles qu'il lui avait été donné de voir de toute sa vie.
Voyant que Meije commençait réellement à s'inquiéter, il déplia le parchemin qu'il tenait et se lança dans un long monologue.

"Vous m'avez engagé pour pouvoir récupérer votre héritage. Ce que j'ai trouvé alors à la demeure de votre mère nous complique considérablement la tâche. Et je tiens à vous affirmer que mon prix va considérablement augmenter."

Il fit une petite pause, un léger sourire aux lèvres.

"Votre mère m'a fournit l'élément le plus important de cette transaction. Le contrat, du moins la copie du contrat qui la lit à l'ensorcelleur. En voici les grandes lignes :

Je soussignée, Dame Noble Mélody Alves, conclus le présent contrat avec le mage Askh'Ân, a qui j'offre en paiement en échange de la protection de mon trésor, l'âme de ma fille, Meije Alves, disponible à ses 23 ans. Je scelle par le sang ce marché qui ne pourra être brisé de ma main. Bla...Bla...

S'en suit des renseignement inutiles. Sa signature ne devait figurer que sur l'original.
Voici donc notre premier problème. Il ne vous reste que peu de temps pour trouver le moyen de vous libérer de ce contrat, et par expérience, cela risque de ne pas être facile. Car en effet, notre deuxième soucis, est que ce... est un mage elfe noir. Ils sont généralement très puissants dans ce genre de manipulation et sont muets comme des tombes sur leurs agissements. Ainsi votre mère ne connaissait aucun détail du sort pour lequel elle a payé votre âme. Nous allons donc devoir le retrouver par nous même, c'est le seul moyen d'inverser le sortilège, pour votre trésor. Pour votre âme, nous entrons dans une toute autre affaire. Car si votre héritage lui importe peu, son paiement attendu depuis si longtemps doit avoir énormement plus de valeur à ses yeux."

Sa voix se tut, le silence prit place. Eric observa la réaction de la capitaine. Mais avant qu'elle ne dise quoique se soit, il reposa la même question qu'auparavant, espérant que Meije ait comprit qu'il était primordiale d'y mettre plus de détails, le compte à rebours avait commencé.

"Quel âge avez-vous, exactement ?"

Meije écouta l'explication d'Éric.
Elle entendit l'énoncé du contrat, le paiement proposé par sa mère et la nature du sorcier. Un elfe noir. Son âme.
A travers la stupeur, la fureur monta. Une colère noire qui menaçait de la dominer totalement. Cette colère avait souvent été un problème pour Meije, mais rarement un handicap. Pour l'instant, elle se maîtrisait encore.
Elle ne saisissait pas bien ce qu'on pouvait faire d'une âme, mais l'idée que quelqu'un possède la sienne la mettait hors d'elle.
On n'est pas pirate sans tenir à ses biens.
Il y avait donc deux problèmes. Le délai du paiement de sa mère, et la difficulté accrue de retrouver l'héritage.
Correction : trois problèmes. Éric montait son prix.
Une idée lui traversa l'esprit.

"Mon âme...", murmura-t-elle, les yeux un peu perdus. Se ressaisissant, elle reprit d'une voix plus ferme : "J'ai 23 dans trois jours à 21h12, Éric", répondit-elle à sa question.

Le laps de temps était très court. Elle n'osa imaginer ce qui aurait pu arriver si elle n'avait pas engagé ce mercenaire au bon moment.

"Si je comprend bien, mon âme est le paiement. Pas besoin de me dire ce qu'on peut en faire, c'est la mienne, et ça me suffit. Si nous parvenons à soustraire son paiement à ce Ask machin chose, il rompra forcément le sortilège, non ? Car ma mère ne respecte alors plus le contrat", suggéra-t-elle, un peu d'espoir dans la voix.

Elle était la priorité à traiter, logiquement, mais elle ne comptait pas perdre de vue son héritage pour autant.

"Et peut-être pourrait-on retourner ce paiement contre ma... mère".

Sa voix tremblota légèrement lorsqu'elle prononça le mot.

"Dites moi ce qui est possible. Et dites m'en plus", demanda-t-elle, le regard peiné mais toujours solide, au jeune homme.

Les yeux d'Eric s'ouvrirent en grand lorsque Meije ajouta les détails manquand à son âge, il souffla.

"Vous savez Meije que vous ne nous facilitez pas la tâche... J'ai bien peur que 3 jours ne nous suffisent pas à régler cette histoire. Il nous en faut déjà un pour nous rendre sur les terres des elfes noirs, certainement autant voir plus pour trouver ce sorcier et il nous faut ensuite réussir à le convaincre."

Il écouta la suite de la conversation. Meije souhaitait inverser les plans. Il réfléchit avec une moue dubitative.

"Hum... En effet, cela pourrait marcher. Vous souhaitez donc que l'on réussisse à trouver le moyen de rompre ce contrat, pour votre âme. Rendre le paiement caduc. Ce qui par la même occasion vous permettrez ensuite d'acceder à votre héritage. Pourquoi pas ? Mais cela ne nous ralonge pas tellement le délais. Et dans tous les cas, nous allons devoir trouver cet elfe."

Elle lui demanda ensuite de lui en dire plus et ce qui était possible. Eric replia le parchemin qu'il rangea dans sa poche.

"Je ne vois pas quoi vous dire de plus Meije. Si ce n'est que si nous n'arrivons pas à temps, votre âme emprisonnée, votre corps ne sera plus qu'une enveloppe vide, un légume. Et d'après la vie que vous menez, je ne suis pas sur que quelqu'un termine ce boulot après vous, au cas où. Quand à votre âme, tout dépendra de son détenteur. Nous devons essayer de réfléchir et d'agir vite. Je pourrais vous faire partager un de mes dons, nous serions en une seconde en territoire elfique mais ce transport fera aussi augmenter le prix. A vous de voir, selon ce que vous êtes prête à faire pour vous sauver."

Les yeux d'Eric pétillait. La situation n'était pas si mauvaise après tout, du moins, pour lui. Si ils avaient eut plus de temps, il n'aurait pas pu faire monter aussi vite les enchères. Quelle chance pour elle que ce fût lui qui s'occupa de cette affaire!

Meije écouta patiemment les explications d'Éric, ses réserves et ses avis.
Il proposa ses services de transport. Le jeune homme était malin, Meije en était consciente. Elle ne pourrait faire autrement qu'accepter, et regarder les prix monter.
Un petit sourire narquois étira ses lèvres.

"Monter les prix ? Ma foi, vous ne perdez pas le sens des affaires. Que voulez-vous ? J'accepte votre transport, évidemment, et je veux que ma louve m'accompagne. Dites votre prix", dit-elle d'une voix douce.

Le jeune homme était beau. Elle s'efforça de chasser le détail de son esprit. Elle n'aimait pas trop les blondinets.
Mais celui-ci...
Elle se rendit compte que l'éveil de sa libido avait repoussé la colère qui menaçait de lui faire perdre le contrôle. Tant mieux, ou tant pis. La libido n'arrangeait pas forcément non plus son problème.
Elle réfléchit un instant et reprit.

"Je ne suis pas mage", fit-elle. "Mais je sais marchander, et il est évident qu'à moins d'être idiot, il n'acceptera pas un prix moindre. Donc, j'imagine que la possibilité qu'il me rende mon âme dépend de celle qu'il en ait une autre à disposition. Et c'est là que la bât blesse. Je n'ai pas envie d'être comme ma mère et de lui redonner, et je ne veux pas l'infliger à quelqu'un qui n'a rien demandé. Pourtant je ne vois pas d'autres solutions", reprit-elle.

Le problème était surtout une question de principe, et Meije en était encombrée. Sous l'influence d'une mère comme celle qu'elle avait eu, ou bien l'on devenait comme elle, ou bien l'on se prémunissait de principes.
Elle retourna et retourna le problème dans sa tête.
Une seule solution lui vint à l'esprit.

"Si je ne peux pas donner une autre âme en échange, puisque je ne le veux pas, et qu'il y a peu de chances que je trouve un paiement équivalent qui ne soit pas en contradiction avec mes principes, est-il réalisable de le tuer ?", demanda-t-elle de but en blanc.

Elle poussa un soupir et se recula jusqu'aux oreillers, réajustant au passage la serviette qui commençait à descendre et dévoiler son intimité.
Elle prit un oreiller, le plaqua contre le mur et s'adossa. Elle observa le jeune homme.

Eric bascula sa tête de gauche à droite, l'air hésitant. N'étant pas vraiment porté sur les choses matérielles il avait été vite en besogne.

"Je n'ai pas encore décidé, mais si je dois le faire augmenter à chaque halte, mieux vaux que je vous le demande à la fin. Et si je dois ne serais-ce que frôler votre bestiole, ca va bientôt dépasser vos moyens. Au pire, si vous perdez votre âme, je me servirai. Après tout, votre corps sera toujours vivant..."

Il avait posé des yeux avides sur la jeune femme, expression qui aurait pu être interprétée de nombreuses manières, dont une pas trés recommandable. Pourtant il ne faisait qu'un trait d'humour, certes pas très drôle vu la situation, mais qui pour lui avait plusieurs sens. Un large sourire étirait ses pommettes blanches et ses yeux pétillaient. Il dégageait encore plus une atmosphère de bien être et de chaleur.
Meije essaya pas la suite de se dépatouiller entre ce qu'elle aller devoir faire et ses convictions. Il lui était impossible de sacrifiée une autre âme à sa place, même celle de sa mère alors que celle ci n'avait pas hésiter à vendre la sienne. Eric ne comprennait pas vraiment ce genre de réaction et marchait plutôt dans le sens inverse, à rendre au centuple ce qu'on lui avait fait.

"De toute façon, chaque âme a sa propre valeur, et je ne pense pas que l'âme de votre mère puisse compenser la votre. La sienne doit être aussi pourrit que son corps charnelle. Pour ce qui est de le tuer, cela peut s'arranger, je suppose. Mais je ne suis pas certain que cela affecte votre contrat. Mais nous pouvons toujours essayer. Il faut toutefois réussir à lui soutirer quelques informations auparavant, car si ça ne marche pas, vous serez bien embêtée. "

Il regarda la capitaine tremper son lit, tout en se demandant, où elle allait faire ancrer son bateau. Ce qui n'avait rien avoir avec la vision qui se dessinait devant ses yeux.

Eric répondit qu'il ne connaissait pas son prix et qu'il lui dirait à la fin. Meije fronça les sourcils. Elle s'était déjà fait avoir avec ce genre de contrats. Ces réflexions furent écartées par l'aura sereine du jeune homme.
Et son attention fut attirée par une petite blague d'Éric.
Prudente, elle fit la moue.

"Ma foi", fit-elle, "Si je ne suis pas dans mon corps, vous pourrez bien en disposer. Cachez vous de mon équipage, tout le monde voudra se servir", ajouta-t-elle sans frémir.

Peu lui importait ce qu'on pouvait faire de son corps du moment qu'elle ne s'en servirait plus. Mais, au possible, elle préférait y rester jusqu'à la destruction de celui-ci, de quelque manière que ce soit.

"Mais nous n'en sommes pas là. Pour l'instant, j'aimerai rester dedans, si ça ne vous contrarie pas", déclara-t-elle.

Elle écouta encore les explications d'Éric quant à la solution qu'elle avait proposée.

"Bien, nous sommes bons pour l'improvisation, alors. Tant pis".

Elle s'installa un peu plus à l'aise sur son lit pour mieux se prélasser. Elle frissonna. Il fallait qu'elle se change si elle ne voulait pas mourir avant même d'avoir pu essayer de se sauver.
Elle se redressa, s'asseyant en tailleur sur le grand lit.

"Il y a une malle derrière vous", dit-elle à Éric. "Si vous pouviez y prendre une chemise et un pantalon, vous seriez bien agréable", termina-t-elle en le regardant.

Éric occupait la chambre de la capitaine dès qu'il était sur la frégate, ce que nul autre que ses amants et sa louve n'avaient fait avant.
Autant qu'il serve à quelque chose, pensait-elle.

Meije semblait réagir à la blague d'Eric, à double sens. Il rigola.

"Je ne pense pas que qui que se soit veuille encore de vous une fois que je me serais servit..." dit-il avec un grand sourire. "J'ai tendance à ne rien laisser. Et puis, personne ne sera avec nous où nous allons, vous n'avez donc rien à craindre, il n'y aura que moi."

Elle fit la réflexion qu'elle préférait toutefois rester encore un peu dans son corps.

"Je préfererais aussi."

Eric se félicitait intérieurement de manier aussi bien le second degrés ce soir.
Il ricana égoïstement de sa petite blague et écouta Meije reprendre son sérieux.

"Je crois en effet que nous n'avons pas le choix. Nous devons donc nous dépecher."

Certainement en ayant compris l'urgence, Meije se redressa et demanda à Eric de lui apporter des vêtements qui se tenaient dans la malle, derrière lui. A cette mention, il examina la tenue de la capitaine. Un sourire en coin.

"En effet, si vous restez comme ça, soit vous prendrez froid, soit vous vous ferez violer et écharppée à peine le pied posé sur le continent des Terres Obscures. Il vous faut quelques choses de plus convenable, de passe partout."

Il farfouilla dans la malle et en sortit une chemise et un pantalon gris qu'il donna délicatement à Meije en se rapprochant du lit.

"Si vous avez une cape pour aller avec ça, ce sera parfait."

Meije sourit à la réflexion d'Éric sur le risque de se faire violer dans cette tenue. Elle avait l'habitude des gens qui voulaient la violer. Y résister avait été la principale activité de son enfance.
Elle ne fit aucune réflexion et prit les vêtements qu'Éric lui tendait.
Il suggéra une cape. Meije n'avait pas de cape. Elle le regarda d'un air songeur puis se décida. Un grand rideau rouge bordeaux masquait la fenêtre du fond de la cabine qui surplombait la mer.

"Enlevez le rideau sans rien déchirer", lui dit-elle. "J'en profiterai pour me changer", ajouta-t-elle avec un petit sourire.

Sa pudeur ne pesait pas lourd mais elle n'avait pas envie de se déshabiller devant lui. Pas maintenant.

"Ce sera suffisant comme cape je pense. C'est plus discret que le noir".

Meije avait toujours pensé qu'à moins d'être enfermé dans une cave sans aucun éclairage, le noir était trop voyant. Il assombrissait l'obscurité dans laquelle on se cachait et faisait se distinguer la forme qui se croyait discrète.
Elle aurait préféré opter pour une nuance de gris plutôt qu'une nuance de rouge sombre, mais elle n'avait que ça sous la main. Pas le temps de faire des emplettes, pensa-t-elle.

Eric détourna son regard quelques secondes pour jeter un oeil au rideau et se pencha de nouveau vers Meije.

"Si vous comptez porter ça, vous devriez plutôt le déchirer un peu, là ça fait vraiment...rideau. Autant porter une nappe à fleurs..."

Il haussa les épaules et retira le rideau de la fenêtre. Sans vérifier que Meije avait fini de s'habiller, il se retourna et lui tendit sa cape de fortune.

"Il vous faut de toute façon de quoi vous cacher le visage, nous ferons donc avec ce que nous avons sous la main."

Il regarda dans chaque coin si il n'y avait pas quelque chose qui pourrait lui servir, mais rien.

"Bon, c'est quand vous voulez. Vous avez peut-être des ordres à donner à vos hommes avant que nous ne partions ? Il serait temps d'ailleurs."

Anticipant la réponse de la capitaine, il se dirigea vers la porte pour monter sur le pont.

Meije se changea tandis qu'Éric détachait le rideau.
Elle était fin prêt quand il se retourna et lui tendit le rideau avec un commentaire sur sa forme.
Il sembla chercher quelque chose des yeux, sans succès.
Sans rien dire, elle prit le rideau pendant qu'il continuait de parler. Sans l'écouter ni prendre la peine de répondre, elle étendit le rideau par terre et tira son épée de son dos.
Posant les pieds de part et d'autre du tissu pour le maintenir en place, elle le découpa habilement et lui donna une forme du mieux qu'elle put.
Elle rengaina et ramassa le rideau dont elle se couvrit et se masqua la tête avec un morceau plus long qu'elle avait laissé dans cette intention.

"Cela vous convient-il ? Vous n'avez pas le choix, de toute façon", dit-elle.

Elle se débarrassa du pesant manteau d'un coup d'épaule et le roula en boule pour le placer sous son bras, puis elle sortit et descendit sur le pont.
Elle annonça son départ à tous les hommes, réunis pour l'occasion, puis elle prit Mogrur à part pour lui donner discrètement quelques ordres. Le troll remplacerait Jean durant son absence. Sa masse et sa voix puissante feraient l'affaire.
Elle donna ses instructions au navigateur pour amarrer le frégate dans un endroit discret puis revint à Éric. D'un geste, elle se recouvrit les épaules de sa cape improvisée.

"Je suis prête", dit-elle. "Quand vous voudrez".

La situation semblait peser sur Meije, elle ne répondait plus à ses blagues. Ce qui, amusait en fait un peu plus Eric. Il la regarda d'un air songeur s'afférer sur la fabrication de sa cape de fortune et lui demanda son avis.

"Heureusement que je n'ai pas le choix, parce que sinon je ne vous aurez pas emmené avec moi."

Pas sûr qu'il passe inaperçu avec ça. Il faudrait s'arrêter dans une boutique au passage se prit-il a penser. Mieux valait perdre 5 minutes à acheter une cape, qu'une heure à se sortir des griffes d'un guêt-apens.
Ils sortirent ensuite sur le pont afin qu'elle puisse donner ses derniers ordres avant de s'en aller. Ses hommes ne semblèrent pas plus inquiets que cela, tant mieux, cela leur facilitait la tache. Une fois qu'elle eut terminé, elle revint vers lui. Un grand sourire sur les lèvres il lui tendit la main et une fois qu'elle l'eut prise, l'attira contre lui, un sourire provocateur sur les lèvres.

"Alors allons-y", murmura t-il à son oreille.

Il appuya le corps de Meije contre le sien pour éviter qu'elle ne se fasse fouetter par la vitesse. Elle ne put apercevoir autour d'elle que le paysage durant une seconde qui défilait à une vitesse vertigineuse, allant de plus en vite, jusqu'à n'être qu'un vague trait flou puis devenir noir complet. Eric semblait courir, ou voler, sur les eaux comme sur la terre. Il passa nombreux obstacles et en quelques secondes arrivèrent à leur destination.

[suite sur les Terres Maudites]