À la recherche de Capt'ain An-Barry

Le bâtiment avait une cale sombre et humide, dans laquelle Ævendur s'était cloîtré pendant la journée. La nuit, il montait sur le pont, et s'entretenait un peu avec le capitaine, ou plus exactement, il laissait parler le capitaine, car il ne voulait pas risquer de dire quoi que ce soit de compromettant pour lui.
Un fort vent dirigé nord-est leur permis d'arriver assez vite, comme si le vent lui-même voulait fuir le continent maudit. Ils arrivèrent au port de Porto Soberano dans le courant de la deuxième journée. Le capitaine suggéra à l'Elfe de rester en cale jusqu'au soir, mais Ævendur, qui venait de vider sa fiole, lui expliqua qu'il était capable de survivre assez longtemps au soleil pour se trouver une cachette. Il lui paya alors la deuxième partie du montant prévu initialement, puis rajouta un pourboire en disant

<< Vous n'avez transporté aucun Elfe Noir, et ne m'avez jamais vu de votre vie. >>

Il descendit de l'embarcation et entra en ville dans l'espoir de trouver des renseignements sur celle qu'il cherchait. Il y avait un lieu qui semblait être le cœur battant de cette bourgade, une taverne portant le doux nom de "Crâne d'or". Elle était déjà bien remplie malgré l'heure.
Ævendur franchit le seuil et s'approcha du comptoir, il commanda une pinte de cervoise. Après avoir payé, il alla s'asseoir en face d'un homme assez âgé, au visage rouge, qui semblait déjà bien entamé par l'alcool, bien qu'il soit encore très tôt. Posant bruyamment sa pinte de cervoise devant lui, il l'interpella:

<< Eh là, l'ami. Tu vois cette belle pinte. Elle est à toi si tu m'indique où je pourrais trouver Capt'ain An-Barry. >>

Devant l'air incrédule et le regard vitreux de l'homme il ajouta en murmurant:

<< Je sais récompenser ceux qui m'aident, mais je sais aussi châtier ceux qui me font perdre mon temps...>>

Le capitaine du petit navire de marchandise légèrement douteuse n'avait pas été très rassuré d'avoir un tel passager dans sa cale. Cependant, lorsque la nuit tombait et qu'Aevendur sortait de sa cachette pour s'entretenir avec lui, il proposait sans aucune appréhension le meilleur rhum de sa collection. Pourtant il fût le seul à boire. Ainsi l'esprit délié de tous soupçons il se laissait à parler de tout et de rien, enfin surtout des merveilleuses filles de joies qui attendaient l'elfe à la Taverne du Crâne d'Or si il s'arrêtait là bas.
Dans le courant de la deuxième journée, le bateau accosta sur un des pontons de l'Ile aux Pirates. Abasourdis par la révélation que venait de lui faire Aevendur sur sa capacité à se déplacer le jour, ses doutes revinrent et il pria de toutes ses forces que ce maudit passager s'en aille rapidement. L'elfe lui tendit son paiement et un généreux pourboire tout en lui disant qu'il ne devait en aucun cas divulguer sa présence sur ce bateau et qu'il ne l'avait jamais croisé. Le capitaine regarda perplexe la somme d'argent et la glissa dans sa poche.

"Ca ira. Bien évidemment, je vous ai déjà oublié mon vieux!"

Le capitaine tourna les talons et retourna à sa cabine, laissant l'elfe noir se diriger vers la ville.
Le lieu le plus approprié pour obtenir les renseignements qu'Aevendur souhaitait était bien évidemment la taverne du Crâne d'or, où toute la vermine de la région mais aussi les voyageurs et habitués de ce lieu venaient se retrouver.
La soirée commençait à peine et la taverne était déjà bondée. Maria s'affairait dans tous les coins, le tavernier frappait du poing sur son comptoir face à un client qui ne semblait pas prêt à régler autre chose qu'une boisson, et les filles de joies vaquaient tranquillement à leur boulot passant d'une table à une autre jusqu'à ce qu'elles aient trouvé leur proie qu'elles emmenaient dans les étages.
Aevendur se dirigea directement vers le comptoir et commanda une pinte de cervoise. Jack, le tavernier tourna la tête vers le nouveau client et pesta.

"Eh! tu vois pas que je suis occupé ?"

Il se tourna de nouveau vers celui qui semblait être au coeur de la discussion.

"Sale merdeux! Tu me dois plus de 10 barils! Tu crois que je vais te laisser filer sans te tirer la peau du cul ?"

Il empoigna le col de l'homme et le fit glisser sur toute la longueur du comptoir,renversant toutes les boissons qui se trouvaient dessus. Au bout, il ouvrit un trappe du pied menant au sous-sol et y balança le fautif. Il referma illico et retourna à sa besogne comme si rien ne s'était passé. Son regard se posa de nouveau sur l'elfe.

"Tu veux quoi ? Ah oui, une pinte de lopette."

Quelques secondes après il posa la pinte brusquement devant l'elfe en éclaboussant une bonne partie de la lourde planche de bois déjà bien imbibée.

"Ca f'ra dix pièces de bronze mon gas!"

Il attendit d'Aevendur lui règle puis retourna discuter avec ses autres habitués.
L'elfe décida ensuite d'aller s'asseoir à la table d'un homme dont la soirée semblait avoir déjà commencé depuis plusieurs heures. Nombreuses pintes vides étaient posées sur sa table, prouvant qu'il n'était pas là en simple spectateur. Avec effort, il garda les yeux ouverts en direction de son nouveau compagnon lorsqu'Aevendur lui adressa la parole. Avec menace mais aussi promesse de récompense, l'elfe essaya de lui extorquer des informations sur le Capt'ain An-Barry.
L'étrange vieillard regardait la pinte pleine avec avidité, secoué de temps à autres par le hoquet de l'ivrogne. Il secoua la tête et leva une main branlante en direction de l'elfe.

"Tu...Tu cherches qui ? Le Cap...hik..Le capt'ain Anny ? hik...An-Barry ? "

L'homme ne savait visiblement pas qui était ce fameux capitaine.

"Ahhhhh !! Le Joyau...hik...Des Mers !! Oui! hik... Beaucoup la cherche ici...hik.. Elle est très appréciée...hik mais aussi recherchée ... hik...voleuse...hik... Très belle...hik... garce...hik...bonne...marchandise...hik..."

Au fur et à mesure que l'homme parlait, ses paroles devenaient de plus en plus incompréhensible, jusqu'à ce qu'il s'écroule sur la table.
Quelques tables derrière, un homme encapuchonné discutant avec Maria semblait trouver la scène plutôt amusante.

Ævendur était furieux, ce type venait de lui faire perdre son temps. Dire qu'il pensait qu'un ivrogne parlerait plus facilement. Si la scène s'était passée une semaine plutôt au port, il l'aurait déjà exécuté sans autre forme de procès, et vendu en pièces détachées. Mais là il n'était pas chez lui, et il était sans doute plus sage d'éviter de tuer trop vite. Ceci-dit, il avait quand même un besoine de vengeance à assouvir, c'est pourquoi il donna un coup de pied dans le tabouret sur lequel était affalé l'ivrogne, de façon à le dégager brutalement. L'homme s'effondra lamentablement sur le plancher de la taverne. Son corps rempli d'alcool toucha le sol avant sa tête, émettant un bruit flasque des plus étranges. Un rat détala en courant pour ne pas être écrasé.

<< C'est ça, dors dans ton urine parasite. >>

Il avait prononcé ses paroles à voix basse, sur un ton très dédaigneux, puis avait craché sur le pauvre bougre.
Il crut entendre comme des ricanements venant de derrière lui. Ça venait d'une table un peu plus loin, où un homme encapuchonné était posé avec la serveuse. Il n'était pas sûr que les gloussements lui étaient destinés, mais il voulut en avoir le cœur net. C'est pourquoi il alla les rejoindre.

<< Belle journée n'est-ce pas ? >>, dit-il sur un ton qui semblait indiquer tout le contraire.

Aevendur n'apprécia guère que l'ivrogne fût incapable de lui dire où se trouvait la capitaine qu'il cherchait. Sa petite vengeance envoya l'homme ivre s'aplatir sur le sol, sans même s'en rendre. A peine sa tête avait-elle frappé le plancher que l'homme dormait à poings fermés, ronflant à faire craquer les murs. Heureusement ce n'était qu'un simple murmure dans le brouhaha persistant de cet endroit.
Alors qu'il avait décidé de changer de table, il entendit des ricanements derrière lui. Dans une alcôve, un homme encapuchonné dont le visage était caché dans l'ombre de sa capuche. Maria et lui regardait cet étrange voyageur, un elfe noir, sans gêne. La serveuse s'en alla alors qu'Aevendur approchait pour le laisser seul avec l'inconnu.
L'elfe lui adressa la parole,prétextant ironiquement une belle journée.
Un sourire en coin se dessina sur le visage de l'inconnu, toujours caché. D'un geste élégant de la main, elle aussi caché par un épais tissu noir comme le reste de son corps; il invita l'elfe à s'asseoir sur le siège en face de lui. Sa voix était douce mais d'une froideur envahissante.

"Il y a rarement de belles journées en ce lieu. Surtout pour un elfe noir tel que vous. Si vous désirez obtenir des renseignements en ce genre d'endroit vous devriez mieux choisir les personnes à qui vous vous adressez. Je pourrais peut-être vous aider, mais évidemment, mon prix ne sera pas une simple pinte de cervoise."

L'homme ne bougeait pas d'un centimètres et attendit la réponse de son nouvel interlocuteur.

Ce qui avait le plus frappé Ævendur, c'était l'assurance "intelligente" avec laquelle l'étrange personnage s'était adressé à lui. En effet, il semblait extrêmement sobre, et surtout très calme, ce qui contrastait complètement avec l'ambiance générale du lieu. Qu'est-ce qu'un individu comme lui faisait dans un endroit pareil? Il y avait là matière à se montrer méfiant.
L'Elfe Noir écouta attentivement. Il posa sa pinte sur un coin de la table, comme s'il la mettait à l'écart de la discussion, avant de répondre à son étrange interlocuteur:

<< Eh bien je n'ai pas l'intention de m'éterniser ici. Si vous savez où je pourrais trouver An-Barry, j'ai peut-être quelques écus à vous offrir. >>

Une mouche passa en émettant un sifflement pénible. D'un mouvement très vif, Ævendur l'attrapa entre deux doigts, et jeta le cadavre sur la table. Un peu plus loin, le tavernier donnait de la voix sur un ivrogne, et on aurait dit qu'une bagarre se préparait aux cris enthousiastes que poussaient des hommes disposés en cercle autour. L'Elfe Noir profita de ce vacarme pour reprendre, assuré que le son de sa voix ne pourrait pas porter plus loin que les oreilles encapuchonnées de son vis-à-vis.

<< Cependant, ce n'est pas la peine d'essayer de m'arnaquer. J'ai certes fait une mauvaise pioche lors de ma première tentative, mais je doute que vous soyez le seul à pouvoir me renseigner. >>

Il tapota du bout des doigts la bourse attachée à sa ceinture, faisant sonner délicatement les piécettes qu'elle contenait.

Un sourire satisfais, continuait d'orner le visage invisible de l'inconnu voyant l'effet qu'il procurait à son interlocuteur. Il se méfiait, et dans ce genre d'endroit, il valait mieux. Aevendur attendu quelques instants avant de lui répondre. Il avoua de nouveau qu'il cherchait le Capt'ain An-Barry en précisant qu'il avait certainement quelques écus à offrir. Sentant qu'il n'avait pas fini de parler, l'inconnu attendit patiemment alors que l'ambiance commençait à chauffer dans la taverne. Il déduisit avec raison, que cet personne ne serait certainement pas la seule à pouvoir lui donner ce renseignement. Un rire discret mais sincère sortit de dessous la capuche. La situation semblait réellement l'amuser.

"En effet, pour ce genre de renseignement, il vous aurez fallu simplement vous adresser à n'importe quel matelots du port. Annabel est très connue ici. C'est un peu sa deuxième maison. Mais vous n'avez pas eut de chance, vous êtes tombé sur un ivrogne."

Alors que les deux personnes parlaient, une bagarre avait éclaté à leur opposé, au fond de la salle. Profitant de cette opportunité, certains quittèrent l'endroit sans payer leurs consommations, d'autres partirent en jetant des regards louches vers Aevendur, d'autres sautaient dans le tas. Sans se soucier de cette ambiance, l'inconnu continua.

"Je ne peux m'empêcher de vous répéter mon conseil, choisissez bien les personnes à qui vous parlez, ou renseignez-vous un minimum sur les gens que vous souhaitez aborder avant d'aller les voir. Donc pratiquement tout le monde ici pourrait vous donner la réponse à votre interrogation, mais maintenant que vous avez été vu en ma présence, peu de gens vous répondront. Donc vous avez peut-être fais une autre mauvaise pioche en venant me voir. Mais je suis certain que nous allons trouver un terrain d'entente. Vos écus ne m'intéresse pas. Vous possédez quelque chose qui a beaucoup plus de valeur à mes yeux. "

L'atmosphère autour des deux personnages un peu à l'écart de l'ambiance bagarreuse commençait à devenir lourde. L'inconnu laissa planer le silence quelques secondes pour son plaisir avant d'annoncer réellement son prix avec une voix plus sérieuse qu'on aurait cru.
Il lança un regard vers une petite fenêtre non loin d'eux, le soleil venait de se coucher et il n'y avait quasiment plus que les lumière des bougies et des différentes lampes et feux qui illuminaient la pièce.

"Je veux savoir comment vous faites pour vous déplacer sous la lumière du jour en tant qu'elfe noir."

A cet instant, l'inconnu rabattit légèrement sa capuche laissant découvrir les trait fin d'un elfe à la peau sombre avant de remettre sa capuche en place.

En acceptant cette quête, Ævendur s'était plutôt attendu à une promenade de santé. Or la situation devenait quelque peu critique. Il n'aurait jamais imaginé rencontrer un autre Elfe Noir sur cette île, et regretta amèrement de ne pas s'être vêtu en lépreux. En effet, en théorie, il était capable de survivre une heure environ au soleil, mais cela nécessitait qu'il s'entoure d'un nuage de brume sombre, une capacité qu'il avait développée pendant son enfance à Sar Nar, et pour laquelle l'hérédité jouait un rôle non négligeable. Cependant, s'il était actuellement capable de s'exposer ainsi à la lumière, c'était grâce à la potion de Wanda, et il ne pouvait en aucun cas divulguer cette information , car peut-être cette potion était-elle une marque de fabrique de l'allégorie.
De plus, il ne savait absolument rien de son interlocuteur, pourquoi était-il là? Il n'écartait pas l'hypothèse que ce soit un espion de Fart'h Argawaen, mais dans ce cas ça serait un hasard, il semblait être là depuis un certain temps, et n'aurait agit aussi promptement s'il l'avait suivi depuis le port. Le plus probable était quand même qu'il soit lui aussi un exilé, car le souverain n'en s'en était pas pris qu'à sa famille, loin de là. Cela étant, c'était très risqué d'en dire trop. Ævendur opta donc pour une solution un peu défensive:

<< Savez-vous qui je suis ? Si oui, vous aurez déjà la moitié de la réponse à votre question. >>

Il plongea ses yeux sombres dans ceux de son vis-à-vis, et le fixa avec beaucoup de gravité. Son regard était presque menaçant, il lui fallait absolument reprendre l'avantage face à la sérénité affiché par l'autre.

La révélation que venait de lui faire l'inconnu avait troublé Aevendur et il répondut automatiquement sur la défensive en lui posant une devinette. L'elfe soutenait le regard de son interlocuteur quelques instants avant de répliquer.

"Vous êtes un elfe noir, prétentieu qui plus est, comme beaucoup de cette race. Pour que vous vous trouviez ici, à la recherche d'une capitaine pirate, me porte à croire que vous ne faîtes pas partit des hommes de ce cher Fart'h. Il y a moins 80% de chance que vous soyez un exilé ou alors c'est que ce souverain à des idées bien bizarres derrière la tête. Qui vous-êtes importe donc peu ici, votre grade, votre lignée... Tout ça c'est fini. Aucun elfe ne peut se maintenir au soleil comme vous l'avez fait, sans protection. Il y a quelque chose derrière et ce sera mon prix pour votre renseignement. Peut-être que si je vous dévoile mon identité cela vous mettra plus à l'aise. Je suis Magrak, l'ancien chef des tueurs à gage de la province Aprak'h Ar. Certains de mes hommes m'ont suivit ici."

Ses yeux parcoururent la pièce, et pour la première fois, Aevendur apperçut d'autres silhouettes encapuchonnées cachées dans les recoins.

"Vous imaginez bien que votre petit secret nous intéresse. Si vous le partagez, je ferai mieux que vous dire où se cache la capitaine, je vous conduirais jusqu'à elle, gratuitement cela va de soit."

L'elfe s'enfonça dans son fauteuil, et croisa les mains sur ses cuisses.

Ævendur avait maintenant la conviction que cet Elfe n'était pas au service du souverain, cependant ses compagnons planqués dans la taverne l'obligeait à donner une réponse. Il n'était plus maintenant question de l'irriter, car les conséquences pourraient s'avérer funestes. D'autant qu'il ne savait pas combien ils étaient exactement, ni où ils se cachaient tous.

<< Le grade et la lignée importent peu en effet, surtout lorsqu'on a sa tête mise à prix. Cependant dans notre identité, il y a aussi le lieu d'où l'on vient. Et cela n'est pas un détail tout à fait négligeable. Vous par exemple, vous êtes d'originaire d'Aprak'h Ar, cela sous-entend que vous avez grandi dans un univers hostile, et comme vous êtes vivants, on peut en déduire que vous êtes excellent au combat. >>

Il marqua une pause, et jeta un nouveau coup d'œil autour, pour voir si les autres encapuchonnés avaient bougé. Il lui faudrait maintenant se montrer persuasif.

<< En ce qui me concerne, je suis originaire de Sar Nar. Je ne sais pas si vous avez eu l'occasion de fréquenter beaucoup d'habitants de la province-cité, mais vous serez peut-être intéressé de savoir que certains d'entre nous peuvent survivre au soleil. >>

Il se redressa alors, et prononça une sorte d'incantation, tout en faisant quelques mouvements avec ses bras. Une brume assez dense, de couleur violet sombre, vint alors l'entourer. Ceux qui l'avaient vu faire dans la taverne, le regardait avec des yeux exorbités. Ævendur aurait aimé ne pas être vu ainsi, mais là c'était un cas de force majeure:

<< Quand j'étais jeune, c'était à ça que ça ressemblait. Vous peinez à discerner mes traits, mais moi je vous voie parfaitement, comme si ce nuage n'existait pas. Pourtant, il protège entièrement de tous les effets secondaires dus à notre héliophobie. >>

Profitant de l'effet de surprise qu'il avait occasionné, il ajouta:

<< À force d'être utilisée, cette incantation à quelque peu modifié ma structure, et je peux supporter le soleil naturellement pendant plusieurs jours. Si vous le souhaitez, je pourrais vous révéler les incantations et les gestes qui lui sont associés. Cependant, bien que je n'en ai jamais eu la preuve, il paraît que certaines prédispositions du sang aident nettement à acquérir cette compétence, que la plupart des membres de ma famille maîtrisait. Il vous faudra de plus vous entraîner régulièrement, car les premiers essais ne durent que très peu de temps. >>

Il avait noyé quelques mensonges dans son histoire, de façon à protéger le nom de Wanda. Cependant, il était quand même très frustré à l'idée de devoir révéler à ces individus le secret sur lequel sa famille avait veillé jalousement pendant des siècles.

Le fait de s'être présenté ainsi que ses compagnons par la même occasion sembla délier la langue du jeune elfe pour le bonheur de son interlocuteur. Magrak se redressa et effectua un geste approbateur de la tête accompagné par un sourire. La bataille dans la taverne avait été calmée par Jack et les elfes devaient maintenant baisser d'un ton pour ne pas être remarqué. Il se rapprocha alors d'Avendur en s'accoudant à la table.

"Vous êtes un jeune elfe perspicace et semblez très bien connaître votre terre d'origine."

La suite de la conversation intéressa de plus en plus Magrak. Ce secret était intéressant, très intéressant. Mais les tueurs à gages sont inaptes à la magie mais de fervents connaisseurs et pratiquants de toutes les armes existantes. Il allait en demander plus lorsqu'il lui fit la démonstration, Magrak se leva d'un bon, attrapa sa gorge et le bouscula près d'un escalier. Tous ses gas, environs une dizaine, arrivèrent derrière lui et le poussèrent en bas des marches. D'ici, personne ne pourrait les voir. Le ton de la voix de l'elfe avait changé, elle était plus sèche. Magrak se tenait en face de lui, il avait repoussé sa capuche sur ses épaules et Aevendur pouvait discerner une énorme cicatrice partant du haut de son crâne jusqu'à son cou en passant par la joue droite. Les autres barraient le chemin pour remonter à la salle principale de la taverne.

"Vous êtes vraiment trop imprudent jeune elfe. On ne fait pas ce genre de chose dans une taverne, certains des gas d'ici ne supporte pas la magie et n'auraient pas hésiter à vous sauter dessus. Maintenant que nous sommes seuls vous pouvez refaire votre petit cinéma si vous le souhaitez, mais j'en ai assez vu. "

Il marqua une petite pause.

"Alors comme ça, vous êtes de Sar Nar et les elfes noirs de cette province ont des pouvoirs spéciaux héréditaires. Cela expliquerait bien des choses. Je connais en effet cet endroit, j'y suis déjà allé pour le boulot..."

Un sourire sadique étira ses lèvres pendant qu'il laissait Aevendur lui expliquer les effets de cette magie.

"Cela à l'air bien pratique... Mais il y a un problème. Nous aussi nous avons des prédispositions comme tu dis. Pour les armes, et non pour la magie. Cette solution ne nous servira donc à rien, même si c'est bon à savoir. "

Il se rapprocha de l'elfe et posa un main sur sa bourse.

"Donc en échange je prend ça" il fit sauter la bourse dans les mains d'un de ses compagnons et leur fit signe de laisser le passage libre.
"Un elfe noir tien toujours sa parole. Vous m'avez offert votre secret, même si à grand regret nous devrons nous contenter de ces maudites capes encore longtemps. Si vous désirez toujours me suivre, je vous conduirais sur le champs à la capitaine que vous cherchez."

D'un geste du bras il remit sa capuche et l'invita à remonter dans la salle supérieure.

Eh bien il n'y avait plus qu'à espérer qu'il n'aurait plus besoin de sa bourse. La haine à présent lui dévorait les entrailles, il aurait donné n'importe quoi pour étriper de ses propres mains cette enflure de Magrak. Mais il fallait garder la tête froide, il avait une mission, et la frustration qu'il avait de voir Magrak partir avec sa bourse n'était rien comparée à la satisfaction que lui procurerait la désillusion de Fart'h Argawaen si jamais le plan de Wanda fonctionnait. Il dût donc se résoudre à laisser faire le tueur à gages.

<< Eh bien allons-y. >>

Il ne put prononcer plus que ces quatre mots, sa gorge s'était nouée, et il avait dût avaler sa salive avant d'être trop tenté de la craché sous le capuchon de Magrak. Ils remontèrent dans la salle supérieure. Il allait enfin voire cette foutue capitaine, et il lui faudrait encore la convaincre de le suivre. Il en serait presque venu à regretter le temps où il découpait ses voisins sous les yeux crevés de la tête de Yiark.

Magrak n'avait pas perdu sa journée. Il venait de récupérer une bourse pleine d'or en échange d'un modique renseignement. Aevendur avait compris qu'il s'était fait berné même si l'avertissement de l'elfe noir sur l'utilisation de la magie dans la taverne avait été réel. C'est donc avec rancœur qu'il suivit la troupe d'encapuchonnés vers la salle principale du Crâne d'Or.

La plupart des clients étaient trop occupés à se laisser séduire par les filles de joie ou à cuver leur vin pour remarquer les silhouettes filer dans la pénombre vers la sortie du lieu. Seuls quelques yeux curieux s'aperçurent de leur présence et les suivirent quelques secondes.

Dehors, la nuit était tombée et les lumières des maisons filtraient aux travers les carreaux, jetant une faible lueur vacillante sur les pavés mouillés du sol.
Flaques après flaques, Magrak et ses hommes menèrent Aevendur sur la jetée du port. Nombreux bateaux étaient amarrés aux pontons et se laissaient bercer par le remout des vagues.

Le chef des tueurs à gage prit vers la gauche, longeant les énormes cordes d'amarrage et entama une petite conversation histoire que la balade paraisse moins longue.

"Au fait, que vouliez vous à cette capitaine ? "

Accompagné de la bande d'Elfes Noirs à l'allure sectaire, Ævendur se retrouva sur le port. Il était déjà tard, et il ne souhaitait qu'une chose: en finir au plus vite avec cette quête. En faisant un bilan de sa journée, il ne pouvait pas être très satisfait de lui, déjà privé de bourse, et toujours pas devant Ann-Barry, les négociations avec la pirate s'annonçaient joyeuses...
Alors que leurs bottes claquaient dans les flaques de la jetée, Magrak estima bon de tuer le silence qu'ils avaient établi pour lui demander pourquoi il souhaitait rencontrait Cap'tain An-Barry. La dernière chose qu'Ævendur avait envie de faire en ce moment, c'était bien de converser avec cet individu, à qui il souhaitait tous les malheurs de ce monde.

<< Contentez-vous de remplir votre part de notre accord. >>

Il avait prononcé ces mots sur un ton extrêmement sec, un ton de ceux qui n'attendent aucune réponse. Il voulait en finir au plus vite avec cette histoire, et ne plus jamais revoir ces maudits encapuchonnés.

La réaction de l'elfe noir ne s'était pas faite attendre et n'était pas non plus très surprenante. Magrak éclata d'un rire amer.

"Ah les gas, je crois que nous avons énervé notre compagnon."

Tous se joinrent à leur chef pour une moquerie de quelques secondes, avant que le silence ne retombe. Il s'était bien douté qu'il n'aurait pu d'autres informations venant d'Aevendur si facilement. Ils continuèrent alors de longer la jetée, bassant de nombreux bateaux jusqu'à ce que Magrak et ses hommes s'arrêtent. A quelques mètres d'eux se trouvaient de nombreuses marchandises étalées et empilées devant une baraque ouverte d'où sortaient et rentraient tours à tours des matelots. En haut de la passerelle se tenait une jeune femme, les coudes posés sur la rembarde du navire avec une bouteille de rhum noir à la main. Magrak arrêta Aevendur en lui posant une main sur l'épaule gauche et la retira aussitôt qu'il se soit arrété.

"alors vous voyez, n'importe qui aurait pu vous guider, vous avec juste fait deux mauvaises pioches, j'espère qu'elle ne sera pas la troisième! Le capitaine An-Barry a jeté l'ancre ce matin, rammenant des marchandises des Iles Oubliées. "

Il montra du doigt la femme entrain de surperviser du regard ses matelots.

Ævendur laissa la bande d'encapuchonés s'esbaudir sans ciller. Ils achevèrent ensuite de longer la jetée, pour arriver devant le bateau de la fameuse Capt'ain An-Barry.
Sur la rembarde de ce bateau, la capitaine était accoudé, une bouteille du célèbre breuvage pirate à la main, mais avait malgré tout nettement plus de classe que les ivrognes du Crâne d'or. Au vu du nombre de marins qui transportaient toutes les marchandises hors du bateau, il se dit qu'elle devait en effet s'être taillée une sacrée réputation pour avoir un effectif aussi important sous ses ordres.

<< Eh bien vous pouvez aller trouver quelqu'un d'autre à bizuter si c'est votre seulement moyen de tuer le temps sur cette île. Moi, je n'ai plus besoin de vous, adieu. >>

Il monta alors en haut de la passerelle du navire, sans jeter un dernier regard en direction des Elfes Noirs d'Aprak'h Ar. Après avoir injurié un matelot qui l'avait bousculé, il se retrouva juste à côté de la capitaine qu'il cherchait depuis son arrivée sur cette île. Il jeta alors un rapide coup d'œil à ses surprenantes mèches vertes, puis lui adressa la parole en ces termes:

<< Capt'ain An-Barry je présume. Pourrais-je m'entretenir avec vous quelques instants ? >>

Il attendit sa réponse, le visage dénué toute expression.

Il y avait de l'agressivité dans la voix de la pirate. La scène rappela à Ævendur une scène qu'il avait vécu il y a peu, lorsqu'une femme encapuchonnée était venue le quérir au Port des Terres Obscures. La différence aujourd'hui, c'est que c'était maintenant lui qui tenait le rôle de cette femme. Et en se rappelant comme il avait été lui-même méfiant, il se dit que la tâche ne serait pas aisée.

<< À vrai dire, qui je suis importe peu. Je ne suis qu'un simple messager s'acquittant de son devoir. >>

L'attitude nonchalante de la capitaine commençait déjà à l'exaspérer, mais il lui fallait se tenir, il se devait de rester totalement impassible. Cette bouteille de rhum noir cependant ne l'inspirait pas, il avait eu l'occasion de voir l'effet de l'alcool sur les Humains, et ce n'était guère encourageant. Se reconcentrant, il enchaîna sur une phrase qu'on lui avait dite quelques jours auparavant, alors qu'il n'était qu'un simple videur de cadavres:

<< Une personne hautement placée aimerait pouvoir s’entretenir avec vous...>>

Conscient que c'était bien faible, il s'empressa d'ajouter, avant que la femme n'ait eu le temps de répondre:

<< Une de ces personnes qui savent récompenser aussi généreusement qu'elles savent châtier sévèrement... >>

Un rictus sadique s'afficha bien malgré lui, mais il l'effaça de son visage dès que possible. Il attendait maintenant de voir s'il avait réussi à capter l'attention de Cap'tain An-Barry. Au vu de son apparente confiance en elle, il s'attendait à ce qu'elle affiche un minimum de provocation. Pourtant, il lui faudrait la convaincre...

Magrak regardait la scène avec grand intérêt. Après avoir montré à Annabel qu'elle n'avait plus rien à prendre sur cet étranger, il avait observé quelques instants un grand sourire affiché sur les lèvres, puis décida qu'ils n'avaient maintenant plus à rien à faire ici, et regagnèrent la taverne du Crâne d'Or.

Comme il s'y était attendu, la pirate ne se laissa pas convaincre. Peut-être était-elle régulièrement la cible de plaisantins malhonnêtes, attirés par sa légendaire fortune. L'Elfe Noir leva les yeux au ciel, scrutant les étoiles, afin de rester calme. Inspirant silencieusement la fraîche brise qui venait du large, il reprit son discours:

<< Si vous tenez temps à le savoir, je m'appelle Ævendur. Bien entendu, n'étant pas une célébrité locale comme vous ou cette ordure de Magrak, rien ne vous garanti que je vous dit la vérité, d'où le peu d'importance de mon nom. Cependant, bien que je sois un Elfe Noir, je ne suis pas au service de Fart'h Argawaen. >>

Ses sourcils se froncèrent alors qu'il prononçait le nom du maudit souverain. Mais cela renforça également sa volonté de réussir, il devait tout faire pour pouvoir ramener sa sœur à la vie, et écœurer du même coup son ennemi héréditaire.

<< Il ne m'est pour le moment hélas pas permis de vous communiquer l'identité exacte de la personne que je sers... >>

En disant cela, il parcourut le bateau et le quai du regard, passant en revue tous les matelots, de même que les Elfes de Magrak qui disparaissaient au loin. Puis il reprit:

<< ...Cependant, je peux vous assurer que l'Argawaen n'est pas grand chose comparé à mon maître, que ce soit en pouvoir, en richesse ou en gloire. Et il serait vraiment regrettable que vous ne preniez pas mon message en considération... >>

Il scruta en profondeur le regard de la pirate, essayant d'intercepter la moindre petite émotion qu'elle souhaiterait masquer, et attendit patiemment sa réaction.

Après avoir insisté pour qu'il se présente, elle lui dit clairement qu'elle se moquait pas mal de savoir exactement qui il était. Ævendur nota ce détail comme typique du comportement humain, on lance des discussions totalement dénuées d'intérêt pour le simple plaisir d'ouvrir sa gueule et de se mettre en avant. C'était une des raisons qui faisaient qu'il n'aimait guère les Humains.
Il regarda avec un profond mépris les matelots qui les fixaient, inquiets. Ils étaient pour lui égal à un troupeau de larves plus qu'insgnifiantes, qui suaient jour et nuit pour satisfaire les fantasmes de gloire et de richesse d'une capitaine dopée au rhum. C'était pathétique.

<< Non vraiment, je suis mystérieux ? Ça vous étonnes ? Au cas où vous ne l'auriez pas encore remarqué, il y a comme une sorte de racisme ambiant qui plane dans l'air de cette île, alors étrangement je protège mes arrières. >>

Son ton avait changé, l'exaspération commençait à prendre le dessus en lui, et il s'exprimait sur un ton moins mielleux, plus incisif, tellement plus naturel pour lui.
Il approcha ensuite ses lèvres de l'oreille droite de la capitaine, et continua en baissant fortement la voix:

<< Celle qui souhaite vous rencontrer vit dans le Château de l'Obscurité. Elle veille jalousement sur ses trésors, des trésors qui feraient passer vos plus belles prises pour de la ferraille. Et elle est disposée à vous en céder une partie, en échange d'un petit service, que je ne suis pas censé vous expliciter ici. >>

Il souhaitait maintenant insuffler le vice de sa maîtresse dans le cœur de la capitaine. Une pirate digne de ce nom devait avoir un penchant marqué pour les trésors.

Il avait apparemment réussi à capter son attention , ce qui était un soulagement pour lui. La perspicacité de la pirate lui avait permis d'extraire du lot le nom de Wanda sans qu'il n'ait eu à le citer, ce qui lui permit de garder la conscience tranquille, bien qu'il eût préféré ne pas avoir à en arriver là. De plus, il avait toujours réussi à se faire passer pour un simple messager, et personne ne pouvait se douter de la teneur exacte de son accord avec l'Envie. Maintenant, elle voulait savoir ce qu'on lui proposait de faire, ce qui était, il fallait bien le reconnaître, parfaitement légitime. Cela-dit, Ævendur fut content de voir que le continent occidental ne semblait pas l'effrayer outre mesure.
L'Elfe Noir regarda les matelots qui s'éloignaient vers la taverne. Il eut une moue désapprobatrice à l'égard de ceux qui étaient restés sur la jetée. Moins il y aurait de gens susceptibles d'entendre leur conversation, mieux cela vaudrait.

<< Eh bien, je ne suis pas au courant de tout, mon rôle est avant tout de vous porter le message. >>

Il parlait maintenant très doucement, pour être sûr que Cap'tain An-Barry serait la seule et unique personne en mesure d'entendre ce qu'il disait.

<< Cependant, je peux vous dire ce que je sais. L'ambiance n'est pas idyllique à l'ouest, et celle que je sers souhaite se venger d'un ennemi qui lui a causés quelques torts. Je ne peux vous en dire plus, car je n'en sais pas plus. Elle m'a toutefois demandé d'aller vous quérir, car il semble que vous possédez quelques dons qui lui seraient bien utiles, et pour lesquelles elle est prête à vous payer le prix fort. >>

Ævendur regretta amèrement de ne plus avoir sa bourse, un tintement d'écus se serait fondu idéalement à ses paroles pour intensifier un peu plus l'ambiance.